Lavaredo 120km – 27 Juin 2025

Depuis plusieurs années, je rêve de courir 4 ultra-trails :

  • l’UTMB : même si l’ambiance « m’as- tu vu » de la course ne m’avait pas trop plu, cela reste la course emblématique pour un trailer;
  • l’Echappée Belle : une des plus belles et plus difficiles courses françaises sur laquelle j’ai une revanche à prendre;
  • la Diagonale des Fous : oups, j’aurais dû préciser « en France métropolitaine » pour l’Echappée Belle. La Diag est la référence ultime, tant en difficulté qu’en beauté, sur la terre des trailers;
  • Le Lavaredo dans les Dolomites italiennes pour ses paysages époustouflants.

J’aimerais ajouter la Hard Rock à cette liste mais elle est inaccessible à un coureur de mon niveau.

Je ne suis maintenant plus qu’à 3 courses de la fin de ma carrière puisque j’ai couru (et terminé !) le Lavaredo 120km fin Juin. Ce ne fut pas sans peine comme je vais maintenant le raconter. La vidéo bilan de l’organisation mérite d’être vue avant mon compte-rendu pour s’imprégner de l’ambiance et des paysages.

L’avant-course

J’étais arrivé sous-entraîné à l’Ecotrail de Paris le 22 Mars et je ne peux pas dire que la situation se soit grandement améliorée quelques semaines plus tard, au moment de courir le Lavaredo : je n’avais que 950 km dans les pattes. Pour donner un point de comparaison, voici les kilomètres que j’avais accumulés avant mes autres ultra-trails courus à cette période de l’année :

Ne me dîtes pas « oui, mais ce qui compte, c’est la qualité et pas le kilométrage » : il est scientifiquement prouvé que, pour les besogneux qui finissent dans les profondeurs du classement comme moi, le kilométrage parcouru à l’entrainement est le principal paramètre de la performance.

Signalons tout de même que j’ai passé 3 semaines de vacances au Pérou (magnifique !) au mois de Mai, dont 2,5 semaines à plus de 3.000 m d’altitude. Mais j’y suis allé pour faire du tourisme et je n’ai couru que 2 fois, à Cusco (3.400 m d’altitude tout de même), 13 km au total ce qui me fait un minuscule mois de Mai à 78 km. Pas top pour préparer un 120 km en Juin… J’espérais toutefois secrètement avoir suffisamment augmenté mon taux d’hématocrite grâce à ce séjour en altitude pour compenser le manque d’entrainement.

Le plan initial était de passer 1 à 2 semaines de vacances à randonner dans les Dolomites avant la course (un peu comme avant la CCC). Suite à des contraintes professionnelles et familiales, impossible de prendre des congés. Résultat : je suis arrivé le Vendredi matin à 0h30 à l’aéroport de Venise en provenance de Bruxelles. Un petit dodo agité dans un hôtel à proximité et me voici reparti en voiture à 9h00 pour Cortina d’Ampezzo où je suis arrivé aux environs de 12h00 pour une course démarrant le jour même à 23h00.

Suivant les recommandations de l’organisation, je me suis garé sur un parking à l’extérieur de Cortina, le parking d’Acquabona. Il est gratuit et une navette passe toutes les 30 mn pour rejoindre le centre de Cortina à environ 6 km de là (ce qui peut prendre un certain temps vus les bouchons à l’entrée de Cortina…). Arrivé au parking, j’ai immédiatement pris ladite navette pour aller chercher mon dossard au Stadio Olimpico del Ghiaccio (super rapide, pas de contrôle des sacs). Je suis ensuite passé respirer l’air du départ

puis j’ai mangé une bonne pizza accompagnée d’une bière locale (selon la jurisprudence « Ecotrail » : perdu pour perdu, autant se faire plaisir avant la course) pour finalement retourner à ma voiture. Après avoir préparé mon sac, j’ai essayé de dormir un peu, dans une voiture parquée en plein soleil. Peine perdue, je n’ai pas réussi à fermer l’oeil.

Comme il avait fait très chaud à Bruxelles les 5 jours précédant la course, j’avais très mal dormi, maximum 4-5 heures de sommeil par nuit, entrecoupées de nombreux réveils. J’ai donc pris le départ avec un gros déficit de sommeil, ce qui, ajouté à mon sous-entrainement, a eu un impact important sur ma performance. J’aurais même pu y laisser ma peau. Admirez au passage le sens du suspense, cela vous donne envie de lire la suite, même si vous savez déjà que je ne suis pas mort puisque j’écris ce compte-rendu.

Alors, pourquoi un tel plan galère et ne pas avoir pris un hôtel à Cortina pour me reposer au frais en attendant ? La faute à ces enf… d’italiens qui ont profité de la course pour pratiquer des prix indécents dans les hôtels ou locations à Cortina et aux alentours. Business is business, mais j’ai refusé de payer plus de 300 euros la nuit, d’autant plus pour ne pas utiliser la chambre une bonne partie du temps.

Dernier petit souci : un ongle incarné au gros orteil gauche que je n’ai pas réussi à guérir avant la course et des douleurs récurrentes au tendon d’Achille gauche (heureusement disparaissant en course). Comme vous le voyez, tout était au beau fixe avant le départ 🙂

Vers 19h00, de guerre lasse, je décide de rejoindre la ligne de départ. En me changeant à l’extérieur de la voiture, je mets les pieds sur des fourmis rouges qui remontent le long de mes jambes et me piquent, notamment à un endroit très sensible de mon individu. Croyez moi, ça fait très mal mais heureusement cela ne dure pas très longtemps. Une fois prêt, je reprends la navette pour aller déposer un premier sac que je récupérerai à l’arrivée pour me doucher et me changer et un second sac que je retrouverai à mi-course avec des affaires pour me changer et de la nourriture. Puis je patiente allongé sur la pelouse devant le Stadio Olimpico, comme pas mal de mes camarades.

Vers 22h15 tout ce petit monde s’agite et se dirige vers le départ de la course, à environ 800 m de là. Je rentre dans le sas, en fin de peloton, et j’attends patiemment le départ.

La course

Si le départ de l’UTMB se fait au son de Conquest of Paradise, celui du Lavaredo se fait au son de l’Extasy of gold (à partir de 45″ pour les impatients) d’Ennio Morricone, extrait de la bande son du célébrissime (pour ma génération) film Le Bon, la Brute et le Truand. Je peux vous dire que cela vous file une énergie de malade et des frissons. J’en chiale quasiment devant mon écran en y repensant. Là mon fils est en train de se dire « incroyable, mon père serait donc capable de ressentir des émotions ? » Et bien OUI !

Comme toujours avant la course, j’avais fait des calculs scientifiques pour estimer mon temps de course. Mon objectif était de finir le dimanche 29 Juin à 2h30, soit 27h15 de course :

Entrons maintenant dans les détails de la course, voici ma trace GPX :

Lavaredo 120 km 2025  GPX

50 100 150 200 5 10 15 Distance (km) (m)
Aucune donnée d’altitude
Nom: Aucune donnée
Distance: Aucune donnée
Altitude min.: Aucune donnée
Altitude max.: Aucune donnée
Dénivelé positif: Aucune donnée
Dénivelé négatif: Aucune donnée
Durée: Aucune donnée

Cortina d’Ampezzo – Ospitale / 18,8 km – 847 m D+

Départ à 1.200 m d’altitude. Je mets presque 15 mn à franchir le portique de départ, mais pour la bonne cause : l’organisation laisse partir les coureurs 3 par 3 (4 par 4 en se serrant bien). Franchir l’entonnoir au départ prend du temps mais cela fluidifie la course et évite les bouchons habituels lors des premières pentes. Pas d’inquiétude, le chronomètre commence au franchissement du portique.

Les 2,6 premiers kilomètres sont sur goudron, à l’intérieur de la ville et de sa « banlieue ». J’ai décidé de résister à l’enthousiasme des premiers kilomètres en partant cool, l’essentiel étant de durer et de ne surtout pas me griller au début. Au bout des 2,6 km nous tournons à gauche. Un peu plus de 4 km de sentiers et larges pistes forestières bien réguliers nous emmènent au premier sommet à 1.783 m. Suivent un faux plat descendant sur de bonnes pistes forestières, une descente sinueuse sur des sentiers avec quelques racines et pierres mais pas trop techniques. La tranquillité de la nuit est quelque peu perturbée par les coureurs italiens qui crient plutôt qu’ils ne parlent. Deux italiens qui discutent, c’est une manifestation; à partir de trois, c’est une révolution. Au fil des kilomètres, ils perdront heureusement de leur verve.

Un dernier faux plat montant et nous arrivons au premier ravitaillement. J’y arrive avec 2 mn d’avance sur mes prévisions. Jusqu’ici, tout va bien. La température est idéale, les sentiers très roulants et je me sens bien. Le ravitaillement est totalement embouteillé et je passe sans m’arrêter. J’ai suffisamment d’eau et de nourriture avec moi.

Ospitale – Passo Tre Croci / 9,3 km – 661 m D+ (28,1 km – 1.508 m D+)

7 km d’une montée régulière pour atteindre un deuxième sommet à 2.113 m, là encore sur des pistes forestières assez faciles, le long d’un torrent. On redescend ensuite vers le refuge où se tient le deuxième ravitaillement.

Même si j’ai conservé 2 mn d’avance sur mes prévisions, j’ai un gros coup de pompe sur ce tronçon. J’ai une folle envie de dormir, mes yeux se ferment en marchant. J’ai perdu 52 places (alors que j’ai squizzé le précédent ravitaillement).

Je prends le temps de me pommader les pieds et de changer le pansement sur mon ongle incarné qui me fait souffrir. Je maudis l’organisation qui n’a pas prévu de café, mais seulement un thé affreusement sucré. Je prends une assiette de vermicelles mais, comme je n’ai pas pris de cuillère ou fourchette (bien que recommandé par l’organisation), je mange avec mes doigts. Heureusement que ma femme n’est pas là pour me voir…

Mon moral a pris un coup mais et je pressens que la suite va être très difficile.

Passo Tre Croci – Misurina / 14,6 km – 644 m D+ (42,7 km – 2.152 m D+)

Je vais courir cette étape en mode zombie, au moins jusqu’au lever du soleil. Je n’ai qu’une envie : dormir. J’essaye de marcher en fermant les yeux, j’hésite à m’arrêter pour dormir mais il fait un peu frais.

Tout commence par une longue descente de plus de 6 km dont je ne garde que peu de souvenirs (elle devait être roulante), hormis le fait qu’en voulant franchir un petit fossé, je me râte et me retrouve les deux pieds dans une eau boueuse. Arrivé au bas de la côte à Federavecchia, le soleil se lève sur un paysage magnifique mais j’ai perdu 12 mn dans la bataille par rapport à mon plan de marche.

Il reste 8,6 km d’une montée suivie d’un long faux plat pour rallier le 3ème ravitaillement. Le lever du soleil m’a redonné un peu de vigueur et j’ai avalé le seul gel à la caféine en ma possession, le truc dégueu que j’avais essayé au Trail des Païens.

Je n’ai qu’une pensée lancinante, qu’un objectif dans ma vie : boire un café.

Misurina – Refugio Arunzo / 7,2 km – 601 m D+ (49,9 km – 2.753 m D+)

J’arrive au ravitaillement avec 20 mn de retard sur mon plan de marche. Je vis alors une des plus grandes déceptions / frustrations de ma vie de trailer : IL N’Y A PAS DE CAFE !!!! P… on est en Italie quand même !!! J’essaye de compenser avec du coca et, pour la première fois, je me pose la question d’abandonner la course. Je dors debout, je perds du temps (je verrais après la course que j’ai perdu 79 places sur cette partie) et il y a sur le parking de magnifiques bus noirs climatisés qui peuvent me ramener directement à Cortina.

Et pourtant je repars, pour deux raisons. La première est bêtement logistique : si je rentre maintenant, je devrais attendre à Cortina le retour du sac qui m’attend au ravitaillement de Cimabenche (je ne sais même pas quand) et sans doute passer une seconde nuit dans ma voiture. Pas top comme perspective. La seconde raison : mon abandon à l’Echappée Belle en 2021 m’a appris beaucoup mentalement et je dis en gros à mon cerveau : « Ta gueule » pour ne pas regretter plus tard un abandon sur un moment de faiblesse psychologique.

Je repars donc et, un peu plus loin, je me décide enfin à faire ce que j’aurais dû faire depuis longtemps : m’arrêter pour dormir un peu. J’ai plus d’une heure d’avance sur la barrière horaire et je décide de m’octroyer 30 mn de sommeil. Je m’allonge dans l’herbe au soleil, en bord de chemin, je mets une alarme sur mon téléphone et je m’endors aussitôt. Combien de temps ai-je dormi ? Je ne le sais pas exactement, quelques minutes tout au plus. En me réveillant, miracle, je me sens remis à neuf et le sommeil ne va plus me perturber avant plusieurs heures. Je viens de tester en live le pouvoir des micro-siestes.

La montée vers le Refuge Arunzo est assez pentue, mais les paysages sont magnifiques et je me sens tellement mieux. Je profite enfin de la course.

Refugio Arunzo – Cimabanche / 17,7 km – 305 m D+ (67,6 km – 3.058 m D+)

Il n’y a pas de ravitaillement, à part de l’eau. Mon retard au refuge s’élève maintenant à 33 mn, encore 13 mn de perdues mais j’ai le moral de nouveau au beau fixe. J’ai bien monté et doublé beaucoup de coureurs (30 places de gagnées).

Le paysage est grandiose, époustouflant. L’ambiance est aussi étrange : il est environ 9h du matin, des hordes de touristes sont arrivées (en bus ou voiture) au refuge et suivent le sentier qui nous emmène au pied des Tre Cime. Nous devons slalommer entre eux, beaucoup nous applaudissent. Au passage nous récupérons les coureurs du 80 km (petits joueurs).

Après un long faux plat montant de 2,5km qui nous amène au point le plus haut de la course (2.750 m si mon GPS est exact), voici le lieu emblématique du Lavaredo, les Tre Cime :

Nous entamons alors une longue descente, roulante au début

puis ensuite assez technique avec beaucoup de cailloux.

Les descentes ne sont pas mon point fort et mon orteil blessé tape le bout des chaussures, ce qui ne m’aide pas. Je tords inconsciemment mon pied pour limiter la douleur, ce qui va m’occasionner une grosse ampoule au talon. Mais globalement ça va.

Après 9 km de descente à plus de 10%, nous avançons dans un canyon interminable suivi d’une route forestière en faux plat pour enfin arriver au ravitaillement de Cimabanche.

Cimabanche – Malga Ra Stua /  9,6 km – 533 m D+ (77,2 km – 3.591 m D+)

Même si le terrain ne m’était pas trop favorable avec cette longue descente technique, je n’ai plus que 15 mn de retard sur mon plan de marche et j’ai encore gagné 30 places. Comme ce ravitaillement est à peu près à mi-course, je décide de faire un arrêt au stand plus long.

Je commence par chatter avec ma famille et je leur fais part de mes doutes sur le fait de continuer la course. Je n’en suis qu’à la moitié, il fait très chaud et j’ai encore une longue nuit devant moi. Côté logistique,  il y a des navettes pour rejoindre l’arrivée et je peux récupérer mon sac de change, contrairement à Misurena. J’ai même demandé à l’organisation comment abandonner. 🙂

Mais je prends le temps de me changer des pieds à la tête, de bien manger (y compris les vermicelles avec les doigts) et boire. Et je repars, cette fois-ci pour finir. Je n’aurais plus vraiment de moment de faiblesse psychologique.

A la sortie du ravitaillement commence une montée d’environ 6km. Le paysage est très champêtre et reposant.

Il fait très chaud mais nous passons le long d’un torrent. Je profite de ma gourde filtrante pour m’hydrater abondamment et je viens en aide à un collègue anglophone qui n’a plus une goutte d’eau. Il me remercie chaleureusement, c’est le cas de le dire. Du coup, nous papotons un peu, c’est le seul échange que j’aurais avec un coureur pendant toute la course.

S’ensuit un moment tragi-comique : des concurrents que nous avons doublés il y a un instant crient très fort pour nous appeler. Comme je m’inquiète d’avoir peut-être manqué un embranchement, mon compagnon d’infortune me répond philosophe : « Non, ils prennent un raccourci. Vas-y si tu veux. » Je continue (bien évidemment) sur le parcours officiel. Il semble que le raccourci est connu puisque plus tard je vois 3 coureurs débouler juste devant moi. Je pense qu’ils ont pris la partie jaune indiquée ci-dessous :

Même si le gain en distance ne semble pas si avantageux, la descente « normale » était assez technique. Je voulais retenir le numéro de dossard d’un des trois tricheurs mais j’ai fini par l’oublier, j’aurais dû le noter. Mais bon, c’est un problème entre eux et leur conscience (mais ça m’énerve un peu).

Arrivé au ravitaillement, mon regain de forme se confirme : je ne suis plus qu’à 3 mn de mon temps estimé et j’ai gagné 72 places. La remontada est lancée !

Malga Ra Stua – Col Galina /  20,6 km – 1.299 m D+ (97,8 km – 4.890 m D+)

Le parcours continue de manière très agréable par une descente d’environ 4 km dans les sous-bois et les prairies, sans grande difficultés techniques.

Nous entrons ensuite progressivement dans un canyon magnifique où il fait une chaleur à crever : le Val Travenanzes. La montée fait 11 km pour un dénivelé de 1.060 m. Le paysage est là encore magnifique, nous nous approchons des Cinque Torri :

Arrivé au col de Bos (2.332 m), je prends un gros coup au moral : je vois un refuge sur la montagne en face. Je pense que c’est le lieu du prochain ravitaillement et qu’il faut donc descendre au fond de la vallée pour remonter aussi sec.

Le moral dans les chaussettes, j’enquille la descente et je me prends la première gamelle de la journée (j’ai attendu 91 km de course, un exploit) en glissant en arrière. Je me rape sérieusement l’avant-bras gauche qui saigne abondamment. Il se trouve que, une centaine de mètres plus loin, je croise 2 secouristes (italiens, vous allez finir par croire que j’ai une dent contre eux) totalement indifférents à mon sort, bien qu’ils aient vu que je saignais. Sans doute attendaient-ils que je rampe à leur pied pour agir ?

La suite de la descente est plus cool : une piste carrossable qui passe dans un petit tunnel pour remonter vers un ancien fort militaire abandonné pour redescendre ensuite sur le ravitaillement. La lumière ambiante a baissé, je ne prendrai malheureusement plus de photos.

J’ai à nouveau envie de dormir et je suis maintenant 42 mn en retard sur mon plan de marche, même si j’ai remonté 73 places.

Col Galina – Passo Giau /  7,5 km – 580 m D+ (105,3 km – 5.470 m D+)

Là va commencer un des moments les plus étranges de toute ma carrière de traileur. Il est plus de 21h et la seconde nuit va bientôt tomber. Juste avant d’arriver au ravitaillement, je reconnais une famille indienne aperçue des heures plus tôt à Cortina, au moment où nous quittions le goudron. Je reconnais aussi le chalet où se situe le ravitaillement : nous y sommes passés ce matin ! Me serais-je trompé de route ?

Je fais un arrêt rapide au ravitaillement, notamment pour me repommader les pieds et changer le pansement. J’apostrophe un bénévole pour lui demander comment est la suite. Il met 5 mn pour m’expliquer qu’en gros il n’en sait rien. Grrr….

En quittant le ravitaillement je reconnais littéralement chaque mètre de la route. C’est en consultant la trace GPS sur ma montre et la trace de l’organisation que je me rends compte que mon cerveau me joue un sacré tour. Non, Philippe, tu n’es pas passé par là (ou alors dans une autre vie). Arrête de déconner et avance !

Mon cerveau finit par me laisser tranquille … pour un moment. J’avance seul dans la nuit, éclairé par ma frontale et je ne vois rien du paysage. Je suis repassé en mode zombie et j’ai du mal à me rappeler quoique ce soit, à part un terrain rocailleux, assez difficile, avec beaucoup de montées sèches.

Je me rappelle vaguement du ravitaillement où je m’arrête un moment pour me restaurer et remplir mes bidons. 1h15 de retard sur mon plan de marche. D’après le site internet de la course, j’aurais d’abord gagné 88 places (grâce à mon arrêt court au ravitaillement ?) pour en perdre ensuite 23 (mais je ne me souviens pas avoir été doublé).

Passo Giau – Rifugio Croda di Lago /  7,6 km – 317 m D+ (112,9 km – 5.787 m D+)

Je repars seul dans la nuit. Au bout d’un moment, un coureur arrive dans mon dos et se met à me suivre. J’entends clairement le bruit de ses bâtons dans mon dos mais je ne vois pas sa frontale. Sans doute est-elle en panne, raison pour laquelle il me colle ainsi ? Au bout d’un moment cela m’énerve et je fais un pas de côté pour lui proposer ma frontale de rechange. Surprise : il n’y a personne. Après l’impression de déjà-vu, voici donc les hallucinations auditives !

Au bout d’un moment, je me mets dans le sillage d’un petit groupe qui avance bien, conduit par une jeune femme qui laisse ensuite la place à un grand italien. Désolé de ne pouvoir en dire plus sur le parcours. Je me rappelle d’une côte de la mort qui tue après un passage à un mini-ravitaillement (Mondeval ?), côte sur laquelle s’égrène les frontales des dizaines de coureurs qui me précédent. J’ai l’impression de repasser plusieurs fois au même endroit mais tout se ressemble la nuit. Je ne tombe plus de sommeil, je me trouve assez lucide mais mon cerveau n’imprime rien du parcours.

Je m’arrête un petit moment au ravitaillement (sans remarquer que je suis au bord d’un lac) avant de m’engager sur la dernière descente que j’espère roulante. J’ai maintenant 1h53 de retard sur mes prévisions et j’ai regagné 23 places.

Rifugio Croda di Lago – Cortina d’Ampezzo /  9,4 km – 145 m D+ (122,3 km – 5.932 m D+)

En fait de descente roulante, je commence par un sentier en mode patinoire sur plusieurs kilomètres. La boue a été malaxée par les centaines de coureurs qui m’ont précédé. Je ne tiens pas debout (je ne suis pas le seul) et je n’avance pas. Rageant alors que je suis encore en bonne forme et que je suis pressé de finir.

J’ai ensuite le souvenir de courir longuement dans un parc, proche de l’arrivée, et de me faire une frayeur en ayant l’impression de repasser plusieurs fois au même endroit. J’ai même eu un bref instant de panique en me demandant si j’arriverais un jour à ressortir de ce parc ! Je me souviens aussi d’une concurrente asiatique allongée dans l’herbe. J’aurai dû m’arrêter pour vérifier que tout allait bien pour elle mais le temps que cette idée se fraye un passage dans mon cerveau, j’étais déjà loin et peut-être était-ce une nouvelle hallucination ?

Je finis assez bien les derniers kilomètres et je franchis finalement l’arrivée à 3h54 du matin, après 28h45 de course quasi non-stop, 1h30 en retard sur mes prévisions et 1h06 en avance sur la barrière horaire. J’ai encore gagné 14 places (dont la concurrente asiatique ?). Je suis 1.151ème sur 1.188 finishers (mais 1.632 partants). Mon plus mauvais résultat mais je suis content d’avoir réussi à terminer et je ne suis pas à bout physiquement.

Mon cerveau ne me laisse pas encore tranquille. Dans le vestiaire, je m’étonne (et m’énerve) de voir que mon fils n’est pas resté à surveiller mes affaires pendant que je prennais ma douche alors que je le lui avais explicitement demandé ! Le pauvre, il n’y est pour rien, il est à Bruxelles, à 800 km à vol d’oiseau de Cortina. Quelques minutes plus tard, c’est ma femme qui me fait une mauvaise blague : elle est introuvable au moment où je descends de la navette. En plus, c’est elle qui a mes bâtons ! Oups, elle aussi est à 800 km de là et mon cerveau déraille encore.

J’arrive enfin dans ma voiture et je m’endors immédiatement, vers 5h30 du matin je pense. Je me réveille environ 4h plus tard, reposé, sans trop de courbatures et je me mets en route pour revenir à l’aéroport de Venise, où j’ai loué un hôtel pour passer le nuit avant de prendre mon vol retour pour Bruxelles aux aurores le lendemain matin (et enquiller une journée de travail).

Les plus attentifs d’entre vous se disent « OK, il a un peu galéré mais quel mytho de prétendre qu’il avait failli mourir. » Et bien non, j’aurais vraiment pu mourir, non pas sur la course mais sur la route du retour : je me suis endormi 2 fois au volant, la première fois sans aucun signe avant coureur. Je me sentais bien reposé et j’avais pris le temps de m’arrêter sur la route pour manger une pizza. Quand je me suis réveillé de ce micro-sommeil, j’étais à moitié engagé à contre-sens, dans un tunnel, avec un camping-car arrivant face à moi en klaxonnant. La seconde fois (pourtant après avoir fait un long arrêt pour me reposer et me gaver de café), j’ai dangereusement flirté avec la barrière centrale de l’autoroute. J’ai immédiatement fait une seconde pause à l’aire de repos suivante en ouvrant en grand les vitres et me donnant des claques à intervalles réguliers pour éviter de me ré-endormir le temps d’y arriver.

Les jours suivants, je n’ai pas vraiment senti de courbatures mais une grande fatigue et je n’ai repris l’entrainement qu’au bout d’une semaine, même si musculairement j’aurais pu reprendre immédiatement.

Matériel et nourriture

J’ai bien évidemment tiré les conséquences de mes idioties de l’Ecotrail Paris.

Pour les chaussures, j’avais le choix entre trois paires, toutes de la marque Hoka :

  • des Speedgoat 5 en fin de vie : elles me serraient le cou de pied depuis mon changement de semelles orthopédiques et j’avais peur que mes pieds ne gonflent trop avec la chaleur;
  • des Mafate Speed 4 quasi-neuves : je les avais achetées juste après la course de Paris. Je n’avais pas eu le temps de faire des sorties longues avec et j’avais des doutes sur leur confort sur de grandes distances, ayant développé assez rapidement des ampoules et des douleurs au niveau du talon (point confirmé après un séjour en montagne au mois d’Août);
  • Les Tekton X, en fin de vie elles-aussi, avec lesquelles j’avais couru le Trail d’Alsace il y a deux ans.

Le parcours du Lavaredo étant qualifié d’assez roulant, je suis parti en Tekton X et cela a été un bon choix. Seul petit reproche : la semelle Vibram était déjà largement usée (problème récurrent sur les Hoka, la semelle s’use beaucoup plus vite que le reste de la chaussure) et j’ai parfois manqué d’adhérence dans les descentes, notamment à la fin.

Pour la frontale, j’avais acheté une Stroots Kiska 3 avec une batterie de rechange après l’Ecotrail de Paris. J’en suis très satisfait : légèreté, confort, luminosité et autonomie (j’ai dû changer la batterie uniquement au milieu de la seconde nuit). Un très bon choix que je recommande vivement.

Pour le reste, du classique : le vieux sac Décathlon qui m’accompagne depuis la CCC 2019, des chaussettes Compressport en fin de vie (jetées à la fin de la course). Concernant le sac à dos, je me pose tout de même la question d’en acheter un autre. Quoique je fasse avec le sac Décathlon, il ballote de manière inconfortable si je choisis de mettre des gourdes sur l’avant et la poche à eau à l’arrière me déséquilibre dans les descentes.

Je suis aussi très content de ma gourde filtrante Katadyn Befree qui me permet de profiter de l’eau fraiche des torrents sans craindre une intoxication. Seul problème : je ne sais pas comment la porter quand elle est pleine. A creuser, peut-être là encore dans l’optique de l’achat d’un nouveau sac.

Au niveau de la nourriture, je suis parti avec des Gel Maurten et des barres Clif, des valeurs sures. Je n’ai par contre pas été convaincu par les gels énergétiques Baouw que j’essayais pour la première fois (je voulais acheter des compotes mais le magasin était en rupture de stock). Je les ai trouvés beaucoup trop sucrés et très écoeurants. Si j’avais eu des petites gourdes, j’aurais peut-être pu les diluer un peu… J’ai aussi profité des ravitaillements de l’organisation, classiques. Il ne manquait que du café. 🙂

Conclusion

Même si j’ai fini dans les derniers et que c’est mathématiquement ma pire performance (mais la distance la plus longue jamais courue), je suis très satisfait, notamment d’avoir trouvé les ressources morales pour terminer. Le déroulé de l’épreuve aurait été tout autre si je n’avais pas accumulé un tel déficit de sommeil avant de partir. Au final, seul le manque de sommeil m’a vraiment pénalisé et mon cerveau m’a joué de sacrés tours ! A aucun moment je ne me suis senti à bout physiquement, seulement une certaine lassitude en fin d’après-midi au vu de la durée de l’épreuve et de la chaleur écrasante à partir de la mi-course.

Avec la CCC, c’est la plus belle épreuve que j’ai courue.  J’ai été conscient sur la plus belle partie du parcours et j’ai profité à fond des paysages. 🙂  Rien à reprocher à l’organisation, bien rodée, la marque « by UTMB. » En cadeau, je repars avec une très élégante veste grise « La Sportive » (le sponsor officiel de la course).

Je conseille donc vivement d’inscrire cette épreuve à votre programme un jour, peut-être dans un format plus réduit (le 80 km évite la première nuit). Si vous partez seul, la logistique sera un point important à considérer : les logements à Cortina sont hors de prix, le parking sur place est difficile et, si vous n’avez personne pour vous déposer / récupérer au départ, cela peut rapidement devenir un casse-tête. Pensez-y avant de vous inscrire.

J’ai été surpris par le nombre de femmes courant, mon impression étant qu’il y en avait beaucoup plus que d’habitude. Rien à voir, mais j’ai trouvé l’ambiance entre coureurs tristounette. Passés les premiers kilomètres où les italiens volubiles criaient dans la montagne, les coureurs se dépassaient sans un mot. Tout le monde était peut-être en mode zombie à cause de la chaleur ?

Je suis aussi satisfait de mon tableau de marche. Même s’il donne l’impression que je me suis effondré en fin de course, je pense que mon modèle mathématique est assez correct. Je décompose le parcours en tronçons de plat, montées et descentes et, pour chaque tronçon, j’applique une vitesse moyenne qui dépend du dénivelé, de mes performances passées sur de tels tronçons et de la fatigue accumulée. Quand j’ai préparé mon plan de marche, j’ai négligé, par manque de temps, tous les petits raidillons de la fin de course (les 20 derniers kilomètres) pour prendre un dénivelé moyen et je pense que cela a compromis le calcul. Je travaille à temps perdu sur l’automatisation complète de ce fichier.

Que pourrais-je améliorer pour un prochain ultra-trail (s’il y en a un) ?

Au niveau du matériel, je n’arrive pas à trouver chaussure à mon pied depuis que les Brooks Cascadia et les Hoka Speedgoat ont évolué dans un sens qui ne me convient pas (plus de rigidité). Les Mafate Speed 4 ne me plaisent pas, j’ai des douleurs tenaces et des ampoules au talon. Je vais peut-être aller voir chez New Balance, mon frère en est très content. Comme expliqué plus haut, j’envisage aussi de changer de sac à dos.

Côté nutrition, je dois mettre plus de discipline dans mon plan de ravitaillement. Au fil des kilomètres, je perds ma lucidité et j’oublie de me ravitailler correctement. Résultat : je découvre à l’arrivée que j’ai promené pendant des kilomètres des gels et des barres au lieu de les manger. Sur le Lavaredo, j’ai perdu au moins 2 kg, sachant que je me suis pesé plus de 48 heures après la fin de la course. Je pense m’être très mal alimenté à partir de Cimabanche. Par contre, je pense m’être très bien hydraté.

Parlant de lucidité, je dois mieux préparer mes courses pour savoir à quoi m’attendre, j’ai le tort de m’y prendre à chaque fois au dernier moment et cela a des effets négatifs, comme par exemple pour le Lavaredo où je n’ai pas pris le temps d’analyser en détail la fin de course dont la difficulté (ajoutée à la fatigue) m’a surpris. Pendant la course, je dois prendre le temps de revenir sur mes notes pour mieux gérer mes baisses de moral.

Reste l’entrainement. Depuis 3 ans, j’ai du mal à accumuler les kilomètres nécessaires à une bonne préparation pour un ultra-trail montagneux. La faute à trop de sollicitations professionnelles et personnelles, l’âge qui commence à peser (57 ans cette année !) et une motivation un peu en baisse.

Ma quasi dernière place au Lavaredo est-elle le reflet de mon niveau actuel (et donc mauvais, autant renoncer aux ultras) ou alors une belle performance au vu du contexte (manque de préparation et déficit de sommeil) ? 1 mois et demi après la course je me pose toujours la question et je cherche toujours LA réponse : mais pourquoi je fais ça ?

Peut-être recourir un ultra me donnera la réponse ?

 

 

 

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