Quand des néophytes sont impressionnés par les distances parcourues par les ultra-trailers, je leur explique doctement que les ultra-trails sont plus un défi psychologique qu’un défi physique. Après tout, les moyennes horaires d’un anonyme du peloton comme moi ne sont guère plus élevées que celles d’un randonneur expérimenté. Par contre le randonneur s’arrête pour la nuit…
Je pourrai maintenant leur expliquer tout aussi doctement comment flinguer une course préparée depuis des mois justement à cause d’une faiblesse psychologique : j’ai en effet abandonné au 64ème kilomètre (sur 149) de l’Échappée Belle Intégrale, à la première base vie du Pleynet. Au moment de mon abandon, j’avais certes des douleurs importantes aux pieds, un déficit de sommeil important mais rien qui ne m’empêchait objectivement de poursuivre, au moins jusqu’à la seconde base vie de Super Collet 36 km plus loin. Aurais-je pu continuer au-delà ? Je ne le pense pas au vu de mes douleurs aux pieds mais mon motif principal d’abandon est une défaillance morale jamais connue auparavant.
C’est évidemment très dur pour l’ego, surtout que je pensais être blindé du côté psychologique, et dommage parce que c’était l’année idéale pour réussir : pas de blessures, entraîné comme jamais, conditions météo parfaites. Ai-je des regrets pour autant ? Pas vraiment, je n’avais clairement pas le niveau (physique + psychologique) et j’ai visé une marche trop haut par rapport à la CCC. Une bonne leçon pour la suite de ma « carrière ».
L’inscription
Au moment de l’inscription j’ai longtemps hésité entre la version 84 km (la Traversée Nord) et l’Intégrale. Je me souviens faisant des va-et-vient avec ma souris entre les 2 options. Ce qui a emporté ma décision sur l’instant est l’impression de « régresser » en m’inscrivant sur un 84 km alors que j’avais déjà couru 2 ultras de 100 km en montagne (UTPMA et CCC).
Au vu de la difficulté du parcours, je sais maintenant que réussir la version 84 km (et je n’ai aucun doute que j’en avais les moyens) aurait été une progression par rapport à mes précédentes courses. 🙂 Cerise sur le gâteau : le parcours du 84 km suit peu ou prou la seconde partie de l’Intégrale, ce qui est un avantage psychologique indéniable pour la courir l’année suivante.
Les 10 derniers jours de ma préparation
Comme expliqué précédemment, j’ai passé les 10 derniers jours avant la course dans les Alpes, au pied du massif de Belledonne, à Allemond. En rejoignant mon lieu de villégiature (que je recommande chaudement), j’ai galéré énormément pour sortir de Grenoble (j’avais fait le trajet de Bruxelles à Grenoble en train puis loué une voiture) à cause des travaux. Les déviations étaient très mal indiquées et mon GPS perdu. Heureusement Waze était mon ami. Ce petit incident va toutefois avoir quelques répercutions inattendues sur ma course.
Durant ces 10 jours j’ai fait 7 rando-courses à allure cible « Échappée Belle » (monter à un bon rythme et trottiner sur les plats et dans les descentes) pour un total de 149 km (pile-poil la distance de la course, un pur hasard) et 9.837 m D+ (la course faisant 11.400 m D+).
Lors du premier jour, j’ai atteint le Lac de Belledonne à 2.174m d’altitude :Au sommet du pic en arrière-plan, se trouve la Croix de Belledonne, point culminant à 2.926 m de la course. Vous trouverez un petit plus loin une photo du même lac vu d’en haut.
A l’occasion d’une deuxième randonnée j’ai reconnu une petite partie (3,2 km) du parcours de la course, entre le Col de la Vache et le Col des 7 Laux. Je ne souhaitais pas vraiment le faire mais comme les lacs des 7 Laux sont une randonnée incontournable de la région, l’occasion a fait le larron. Durant la course, j’ai effectué le même tronçon de nuit et cette mini-reconnaissance m’a aidé moralement dans la montée du Col de la Vache. J’y reviens plus tard. Rétrospectivement, je regrette de ne pas avoir organisé mes vacances autour du parcours et effectué plus de reconnaissances. Je ne voulais pas « tricher ».
Physiquement parlant, je suis très satisfait de cette dernière étape de ma préparation :
- j’ai bien renforcé mes cuisses et je n’ai absolument pas souffert de ce côté-là pendant la course, ni après,
- j’ai gagné en confiance dans les descentes (j’ai réussi à ne jamais me prendre les pieds dans une racine ni me tordre une cheville, un exploit pour celles et ceux qui me connaissent),
- mes vitesses mesurées me montraient que mes prévisions étaient tout à fait raisonnables.
Moralement, il en était tout autrement. Au fil des jours le stress de la course est monté, à m’en rendre malade : j’avais de plus en plus de mal à dormir correctement (j’ai enchaîné les nuits à 3-4 heures de sommeil), des maux d’estomac quasiment en continu et je ne cessais de broyer du noir, me disant que j’avais sans doute fait une erreur en m’inscrivant. J’étais parti seul (ma femme et mon fils devant me rejoindre à l’arrivée) et cela ne m’a pas aidé à me changer les idées. J’avais prévu préparer le parcours en détail mais je ne trouvais pas le courage de le faire pour ne pas me stresser encore plus. J’avais le comportement d’un petit enfant que se met les mains devant les yeux pour ne pas voir le danger.
Mon discours a aussi changé : au lieu de dire que je ferais tout pour terminer la course, mon discours est devenu « je vais rejoindre la première base vie et ensuite je verrai. » Le ver était dans le fruit… Quelques jours avant, j’expliquais pourtant autour de moi qu’il était essentiel de partir en refusant toute option d’abandon. Seuls les imbéciles changent d’avis dans ce cas précis.
Au niveau du matériel, j’avais prévu courir avec des Brooks Cascadia 14, un modèle que j’avais utilisé autour de chez moi à Bruxelles, en randonnée dans les Pyrénées mais jamais sur une course avec des dénivelés importants. Je me suis rapidement rendu compte que j’avais des échauffements désagréables au niveau du cou-de-pied et mal aux talons dans les grandes descentes. J’ai envisagé un moment d’acheter une autre paire de chaussures mais il ne me restait pas assez de temps pour les roder. J’avais couru la CCC avec le modèle précédent (la version 13) et j’avais avec moi une paire usée que je prévoyais prendre pour le toute dernière partie de la course, à partir de la seconde base vie. J’ai pris la funeste décision de partir en Cascadia 14 et je vais le payer pendant la course. Sans doute aurais-je dû partir avec mes vieilles « pantoufles » Cascadia 13.
En synthèse de ces 10 jours : un physique au top, de petites inquiétudes au niveau du matériel et un moral au plus bas.
La veille de la course
L’Échappée Belle suit un parcours Sud-Nord entre Vizille et Aiguebelle, ce qui crée quelques contraintes logistiques, d’autant plus que les dossards sont à retirer à l’arrivée, la veille de la course à partir de 15h00.
J’ai hésité jusqu’au dernier moment entre dormir à l’hôtel près du départ ou dormir sous une tente à l’arrivée et prendre la navette de l’organisation tôt le matin pour rejoindre le départ.
L’avantage de la première option était de pouvoir dormir confortablement, se lever à une heure raisonnable (4h30 pour un départ à 6h00) mais posait des problèmes logistiques pour récupérer la voiture à la fin de la course. Pas insurmontable mais un peu pénible. J’ai renoncé à cette option pour plusieurs raisons :
- les travaux que j’avais rencontré à la sortie de Grenoble : Waze est un super outil mais use rapidement la batterie du smartphone. J’avais peur d’arriver en retard à la course sans utiliser Waze … et je ne voulais pas utiliser Waze pour ne pas user la batterie 🙂
- je me disais que lit confortable ou tente, je ne dormirais de toutes façons pas bien au vu de mon état de stress,
- si j’abandonnais tôt dans la course, je me retrouvais comme un c… à Aiguebelle à attendre l’arrivée de ma famille jusqu’au dimanche après-midi.
J’ai donc choisi l’option « tente », n’ai presque pas dormi la veille de la course, me suis levé à 2h45 du matin … et le chauffeur du bus s’est perdu en rejoignant Vizille, nous faisant arriver 40 mn avant le départ. Carton plein !
A l’entrée d’Aiguebelle en venant de l’autoroute un panneau indique un parking « coureurs » sur la droite mais il vaut mieux avancer jusqu’au centre du village où il y a de nombreuses places disponibles dans les rues et autour de la gare. J’installe ma tente dans l’un des deux emplacements prévus (le parc des Rochettes, le second emplacement étant derrière l’office de tourisme) : C’est aussi le lieu de l’arrivée, donc il ne faut pas trop espérer dormir tranquillement à l’issue de la course : non seulement il y a un speaker mais chaque finisher fait résonner une cloche en arrivant ! Précisons enfin que les tentes étaient surveillées par des vigiles pendant la course.
A 50m du parc, le gymnase offre des douches et la possibilité de dormir sur des lits picots. C’est aussi le point de départ/arrivée des navettes pour la course.
Les dossards sont à retirer au foyer rural, à environ 200m. Après le contrôle du passeport sanitaire, les bénévoles remettent successivement :
- un petit bracelet rouge démontrant que le passeport sanitaire a été contrôlé,
- un sac papier,
- un grand sac tissé blanc de délestage que vous retrouverez aux deux bases vies (Pleynet et Super Collet),
- une mini bouteille de St-Yorre,
- le road-book et un magazine,
- une enveloppe avec le dossard, une étiquette à coller sur le sac de délestage (je conseille de la fixer aussi avec des épingles à nourrice ou d’indiquer votre numéro au stylo à bille sur le sac) et le ticket pour la navette si vous aviez choisi cette option,
- un maillot technique Dynafit avec un logo « Échappée Belle » très discret sur la manche droite.
Quelques stands à la sortie et le tout est plié en 10mn, même s’il y avait quelques soucis d’inscription pour certains coureurs quand je suis passé. Moi-même était absent de la liste des coureurs à l’entrée du bâtiment. J’avoue avoir un instant espéré qu’un bug de l’organisation m’interdirait de prendre le départ 🙂 Par contre j’ai encore été considéré comme un Belge. Grrrr….
Pas grand-chose à faire à Aiguebelle en attendant le départ mais de quoi s’offrir un dernier repas avant l’exécution … euh la course : deux supérettes, 3/4 restaurants/take-aways.
Au retour à la tente, je papote avec mon voisin, très sympathique. Il part dans la première vague à 5h00 alors que je pars dans la troisième et dernière vague à 6h00. C’est donc un gars largement plus fort que moi. Il a participé l’année précédente mais a été arrêté par le staff médical et évacué par hélicoptère à la base vie du Pleynet suite à des vomissements dus à la déshydratation. Inutile de dire que cette conversation ne m’a pas aidé à reprendre confiance… Sans doute perturbé par la conversation, je marche pied nu sur un de mes piquets de tente ! Très douloureux, j’en suis quitte par un bleu sous la plante du pied mais reconnaissons que cela n’a eu aucun impact sur ma course.
Je ne me joins pas à la traditionnelle « Pasta Party » et je préfère grignoter seul devant ma tente avant de me coucher à 21h00, essayant désespérément trouver le sommeil. J’arrive à somnoler quelques minutes par ci, par là. Je trouve le moyen de faire un rêve où je « retrouve » des membres décédés de ma famille. Ambiance lourde… Je suis presque soulagé de me lever à 2h45 pour me préparer et rejoindre la navette qui démarre à 3h30 (pour un départ à 6h00 alors qu’il n’y a que 1h10 de route). Je me dis que je prendrais un bon café en attendant le départ, voire que j’essayerai de dormir quelques instants dans le gymnase de départ :Malheureusement, comme expliqué plus haut, le chauffeur du bus se perd dans les travaux autour de Grenoble. Il s’arrête une première fois pour demander sa route à un ouvrier sur le chantier de l’autoroute. Celui-ci lui répond qu’il ne connaît pas le coin (ce qui est confirmé par son accent :-)) et notre chauffeur continue à errer au petit bonheur. Heureusement un des coureurs (qui habite Grenoble) prend les choses en main : il commence par informer le chauffeur qu’il prend la direction du Vercors au lieu de Vizille (!) puis allume son GSM pour le guider avec Google Maps. Résultat : nous arrivons 40 mn avant le départ. J’ai le cœur au bord des lèvres (je suis malade dès que je ne suis pas au volant) et j’ai à peine le temps de passer aux toilettes avant de rejoindre la ligne de départ. Quant au café espéré on oublie et je vais démarrer la course avec un énorme mal de tête. Un chauffeur sans GPS, sans téléphone mobile, quel professionnalisme ! Un grand merci…
Dernier incident au moment du départ : l’électricité disjoncte et l’arche gonflable s’effondre sur les premiers coureurs. Entre mon voisin, le piquet de tente, mon nom absent de la liste des coureurs, le mauvais rêve, le chauffeur perdu et l’arche qui s’effondre, j’ai vraiment l’impression que les Dieux m’envoient des signes !
La course
A 6h00 le départ est enfin donné. J’ai un mal de tête terrible, le moral dans les chaussettes mais je suis soulagé d’enfin partir. Voici le profil de la course :
et le road-book remis par l’organisation.
Domaine de Vizille / R1 – Foyer ski de fond d’Arselle – 16,7 km – 1.571 m D+
Les 2 premiers km sont complètement plats, principalement à l’intérieur du Domaine de Vizille, haut lieu de la Révolution Française. En tant que fan d’histoire, je regrette de ne pas avoir profité de mon séjour à Allemond pour le visiter, je n’étais après tout qu’à 30 km. Le peloton de coureurs est guidé par un cycliste à l’intérieur du parc. Les affaires sérieuses commencent ensuite avec une montée assez sèche sur un sentier pierreux qui est tout d’abord assez large et offre quelques belles perspectives sur la vallée :10 km d’une montée assez dure d’une traite avant de redescendre par une large piste forestière sur le lac du Luitel qui est dans la brume mais ressemble à ça. Un chemin plus étroit et moins pentu remonte ensuite en forêt pour rejoindre le ravitaillement n°1 au plateau d’Arselle :Le ravitaillement est servi en mode Covid-19 : désinfection des mains à l’arrivée et les bénévoles vous remplissent un sac en papier avec ce que vous désirez manger. Du classique : TUCs, charcuterie, cakes, fruits secs. Côté boisson : soupe, eau plate et pétillante, Coca-Cola… Je ne reviendrai pas dessus, tous les ravitaillements seront quasi-identiques.
Sur ce premier tronçon j’ai l’occasion de faire la connaissance de deux « vedettes » de la course :
- le dernier de l’édition 2020 qui a la particularité de courir en jean comme vous pouvez le voir sur la vidéo de son arrivée en 2020. Il a terminé cette année 147ème en 47h et 1.322ème sur l’UTMB en 45h31 2 semaines plus tard ! Sa notoriété a même atteint la Belgique et je n’y suis pour rien 🙂 Respect, je ne le verrai plus ensuite;
- Philippe (!), un joueur de Ukulélé de Montpellier (ingénieur opticien dans le civil) très sympathique avec qui je papote un moment. Il va s’arrêter devant chaque bénévole pour lui chanter une chanson (répertoire 70’s principalement), prendre le temps de chanter à chaque ravitaillement pour ensuite, mine de rien, rattraper son retard. La dernière fois que je l’entendrai ce sera au loin, en pleine nuit, au Col de la Vache. Je regrette de ne pas avoir retenu son numéro de dossard. Apparemment il écume les trails et a même terminé le Tor des Géants.
Même si les premiers kilomètres (entre 2 et 10) ont été difficiles à avaler et que je n’ai cessé de penser que « si ça n’allait pas, j’abandonnerais au Pleynet » mon moral connaît une courte embellie : le soleil est de la partie, le panorama est superbe, je suis exactement dans mes prévisions (je quitte le ravitaillement à 9h23 alors que j’avais prévu 9h28) et, comble du bonheur, j’ai pu boire un petit café ce qui atténue provisoirement mon mal de tête (je suis accro à la caféine).
R1 – Foyer ski de fond d’Arselle / R2 – Refuge de La Pra – 10,6 km – 882 m D+
Sans aucun doute la plus belle partie du parcours (enfin de la partie du parcours que j’ai faite) dans une végétation de conifères qui se raréfie au fur et à mesure que l’on gagne en altitude. Nous croisons de nombreux lacs et j’ai très envie de revenir un jour dans le coin en mode randonnée.
Départ du plateau d’Arselle :Le Lac Achard :Le Lac Achard vu d’en haut :Lac sans nom vu du col de l’Infernet (2.050 m) :Montée vers le col de la Botte (2.175 m) :Col de la Botte et descente vers les Lacs Robert :Lacs Robert :Vue arrière sur la vallée de Grenoble :Petite cascade pour remplir les bidons :Lac Léama (vue en arrière) : Lac Longuet : et enfin le refuge de la Pra, théâtre du ravitaillement n°2 (2.105 m) :Cette partie du parcours était raisonnablement difficile : bons sentiers, quelques passages très pentus mais rien de terrible pour un trail de montagne. Je quitte le ravitaillement à 12h32 alors que j’avais prévu 12h16. Je suis resté un peu plus longtemps que prévu pour prendre le temps de me pommader les pieds en prévision des moments difficiles qui m’attendent.
Bien qu’objectivement je devrais avoir le moral au beau fixe, je continue à broyer du noir et à ne penser qu’à une seule chose : rejoindre au plus vite la base vie du Pleynet. J’ai beau essayer de me botter le derrière (mes quadriceps sont encore très souples), de m’engueuler, de me moquer de moi-même, rien n’y fait, je suis uniquement pressé d’en terminer. En plus une conversation entre bénévoles me fait comprendre que je suis parmi les derniers alors que j’avais l’impression de bien avancer jusqu’à présent.
R2 – Refuge de La Pra / R3 – Refuge Jean Collet – 10,9 km – 880 m D+
Sur cette partie nous allons vraiment entrer dans le dur de la course avec de la caillasse et une boucle de 45-50 mn pour aller toucher la Croix de Belledonne, le plus haut point du parcours.
Tout commence d’une manière bucolique quoique pentue avec une vue d’en haut du Lac Longuet :Le sentier monte régulièrement pour rejoindre le sommet en arrière-plan :avec une vue d’artiste au passage (artiste qui aurait dû poser son bâton avant de prendre la photo) :Ça grimpe sec :pour rejoindre les 2 lacs du Doménon : La cible est devant nous :et nous entrons dans la caillasse pour un moment. Au loin les coureurs qui redescendent de la Croix de Belledonne alors que nous entamons la boucle : Au passage un grand comique qui descend de la Croix nous dit « c’est dans 15 mn hors TVA ! » Ah, ah, ah, on se marre, merci de ton aide…
Une vrai chemin de croix nous attend, sur des pierres instables, sans sentier clairement dessiné : Enfin arrivé à la Croix, vue plongeante sur le fameux Lac de Belledonne dont je parlais en début d’article. J’ai passé mes 10 jours de préparation tout en bas dans la vallée :La tradition est de toucher la croix pour porter bonheur mais il y a beaucoup de monde et j’ai le vertige en m’approchant. J’aurais peut-être dû insister… Vues sur l’un des Lacs du Doménon : avant de passer le col de Freydane par un sentier un peu impressionnant : puis redescendre (glisser sur un tapis de pierre serait plus exact) :jusqu’au Lac Blanc :avant de rejoindre le Refuge Jean Collet au loin :d’où nous avons une vue magnifique, le refuge étant perché sur un éperon rocheux :Cette partie du parcours a été techniquement et moralement très éprouvante. Marcher sur la caillasse requiert une attention de tous les instants. Malgré tout je suis encore et toujours dans mes temps puisque je quitte le refuge à 16h34 alors que j’avais prévu 16h48, tout en ayant pris le temps de me restaurer et encore une fois de me pommader les pieds.
Au passage, j’ai discuté avec ma 3ème vedette : le dernier de l’édition 2018 ! Il est à la peine (il arrive au refuge quand je le quitte), il ne terminera pas la course mais il est le premier à essayer de me remonter le moral en expliquant que la partie la plus dure de la course se termine au Pleynet, qu’il faut essayer de dormir sur place avant de reprendre la route et que les barrières horaires sont plus raisonnables ensuite.
R3 – Refuge Jean Collet / R4 – Habert d’Aiguebelle – 8,8 km – 752 m D+
Au sortir du refuge, nous escaladons le col de la Mine de Fer (2.400 m) qui est réputé pour sa difficulté :Le col à franchir est tout en haut, dans le creux au centre de l’image :Mes premiers bouquetins au passage :Arrivé au sommet, je pense avoir fait le plus difficile du tronçon et je profite de la vue :Que nenni, il va falloir traverser des pierriers pour rejoindre la Brèche de Roche Fendue (le creux au fond de l’image) :sur un terrain très difficile : Passée la Brèche, la descente sur le Pas de la Coche n’est pas beaucoup plus facile avec à nouveau de nombreux pierriers à traverser : Petite vue arrière sur la Brèche au loin :et vue avant sur des paysages magnifiques en direction du Pas de la Coche avec, enfin, des sentiers un peu plus faciles : Arrivés au Pas de la Coche, nous descendons en direction du ravitaillement n°4 :Sur la route, je fais la connaissance d’un sympathique coureur Belge originaire de Tournai que je croiserai à de nombreuses reprises sur le parcours (je le distançais dans les montées et il me rattrapait dans les descentes). Il a cassé un de ses bâtons Leki (les mêmes que les miens, en fibre de carbone et que je pensais increvables). L’Échappée Belle ne se contente pas d’user les corps mais aussi le matériel !
Arrivé au ravitaillement j’ai les pieds en feu : le talon gauche me fait mal (5 jours après c’est toujours le cas) et le cou-de-pied droit est très enflé (idem). J’ai mal dès que je plie le pied, surtout en descente. J’essaye de délacer un peu mes chaussures pour le soulager mais je ne peux pas me le permettre trop sinon je n’ai plus aucune stabilité.
A cet instant je suis décidé à abandonner : moralement j’en ai plein le cul (désolé, je n’ai pas trouvé d’expression plus appropriée) et physiquement je ne vois pas comment je pourrais encore parcourir 100 km avec une telle douleur aux pieds.
Il est 19h45 et 2,5 km plus bas il y a une navette qui passe à 23h30 (au pont de la Béta). J’hésite un moment à abandonner à cet endroit mais je me suis promis de rejoindre au moins le Pleynet. Je quitte le ravitaillement à 19h55 alors que mon plan de marche prévoyait 20h48. Je pense que j’aurais dû me poser plus longtemps et analyser sereinement la situation qui n’était pas si noire que cela : en dehors des douleurs aux pieds, je ne ressentais pas de fatigue, pas de mal aux cuisses et j’étais presque 1 heure en avance sur mes prévisions avec un partie du parcours à venir que je connaissais déjà. Au lieu de cela je suis parti avec un seul et unique objectif : rejoindre le Pleynet à 17 km de là avant 2 heures du matin pour prendre la navette et ME CASSER DE CETTE P… DE COURSE DE M… Dommage…
R4 – Habert d’Aiguebelle / R5 – Le Pleynet -16,9 km – 1.226 m D+
Dernière étape de mon périple avec 2 cols à franchir et la majeure partie à faire de nuit.
Premier col au programme : le col de l’Aigleton (2.300 m). La montée commence agréablement le long d’un ruisseau (dernière photo que je prends avant la tombée de la nuit) :Le sentier grimpe ensuite sec mais régulièrement en lacets, traverse – je vous le donne en mille – un gros pierrier et finit quasiment à la verticale. Arrivé au sommet, la nuit est tombée et je fais une pause pour sortir ma frontale et m’habiller plus chaudement. Avec la tombée de la nuit un vent très froid s’est levé.
Le second col au programme est le Col de la Vache qui n’est qu’un immense pierrier. J’utilise ci-dessous des photos prises lors de ma randonnée. Vue d’en bas (le col est le premier creux à partir de la droite) :Vue du sommet du côté de la montée : Arrivé au col, vue sur le lac de Cos en contrebas:avec une descente pas évidente du tout à négocier dans le haut du col :avant d’arriver au lac :A partir de là le sentier longe les lacs des 7 Laux sur environ 3 km, sur un terrain assez facile en faux-plat descendant.
Arrivé au dernier lac, nous commençons à apercevoir les lumières du Pleynet au loin mais le chemin est interminable puisqu’il faut faire le tour complet de la vallée, tout d’abord par une descente abrupte et techniquement difficile suivie d’un sentier vallonné avec quelques rampes sèches.
Je me rends compte que je prends un peu plus de temps que prévu et que je risque de manquer la navette de 2h00 et devoir attendre 5h30. Dans les 3 derniers kilomètres, je place une accélération fulgurante (je vais courir entre 6 et 7 mn au kilomètre) et j’arrive au Pleynet à 1h37, avec 1 heure d’avance sur mon plan de marche qui prévoyait une arrivée à 2h35. Le temps de grignoter une part de gâteau, je passe au PC Sécurité pour les informer de mon abandon. Nous papotons un peu sur la difficulté du parcours par rapport à la CCC, sur le fait que je suis un faux belge et je monte dans la navette. J’ai les pieds en feu mais je ressens un immense soulagement d’avoir abandonné. J’arrive à ma tente vers 4h00 du matin après avoir pris une douche. Le PC Sécurité a oublié d’enregistrer mon abandon et va me rappeler le samedi en milieu d’après-midi pour me demander où je suis… Réponse : au Novotel de Grenoble 🙂
Conclusion
Physiquement parlant, mon seul problème était les douleurs aux pieds. En dehors de ça, pas de fatigue excessive, pas de mal aux cuisses. J’ai même pu courir à près de 10 km/h sur les derniers kilomètres grâce à la motivation de rejoindre la navette à temps ! Sur le dernier tronçon du parcours, j’ai remonté 70 places au classement. C’est le seul moment de la course où j’aurais été fort psychologiquement. 🙂
Le manque de sommeil était clairement un problème : je n’aurais pas pu continuer à courir minimum 36 heures sans dormir. Je commençais à perdre ma vigilance et cogner dans des cailloux et racines et un mal de tête lancinant ne me quittait pas. Le reste du parcours, avec notamment le fameux Col du Morétan et sa descente abrupte sur un névé, n’était pas faite pour me rassurer. Quelques jours plus tard le décès d’un coureur sur la TDS a rappelé encore une fois combien la montagne peut être dangereuse. Quelques siestes de 10-15 mn auraient-elles suffi ? Aurais-je pu tenir les barrières horaires ? Je ne sais pas mais je ne me suis pas vraiment posé la question.
Avec le recul j’ai manqué de lucidité. J’étais en avance de 1 heure sur mon plan de marche (et de 2h20 sur la barrière horaire) et j’aurais dû suivre le conseil de mon collègue belge de Tournai : ne pas abandonner au Pleynet mais prendre une douche, me changer, me restaurer, essayer de dormir un peu et repartir avec le serre-file à l’expiration de la barrière horaire. J’aurais pu aussi chausser mes Cascadia 13 et peut-être mieux supporter la douleur.
Je ne l’ai pas fait parce que, moralement, j’étais cuit depuis longtemps, je n’avais aucun plaisir et juste l’envie d’en terminer au plus vite avec la course. Je ne m’explique toujours pas la raison d’une telle défaillance : l’inquiétude vis-à-vis du parcours, l’absence de repère sur une aussi longue durée de course, la solitude les jours précédents la course ? Je pense que ma plus grande erreur a été de « programmer » inconsciemment mon cerveau pour atteindre le Pleynet et en ce sens j’ai parfaitement réussi ma course. 🙂
Malgré tout, je n’ai pas trop de regrets. Un ultra-trail aussi difficile est un combo physique/psychologique et je n’avais clairement pas le niveau. Au vu de mes capacités physiques, j’ai très bien avancé mais j’étais quand même parmi les derniers. La marche entre la CCC et l’Échappée Belle était beaucoup trop importante et j’aurais dû soit courir le 84 km (pour mieux appréhender la difficulté du parcours) et revenir l’année suivante sur l’infernale, soit courir une telle distance sur un parcours techniquement plus facile (pour avoir dans la tête et les jambes une course de 48 heures).
Je n’ai pas non plus de sentiment de revanche et l’envie de revenir. A partir du Refuge de la Pra, j’ai eu l’impression que le parcours recherchait parfois la difficulté pour la difficulté et rester concentré tout le temps pour ne pas se tordre une cheville (ou pire) sur une pierre branlante n’est pas ma tasse de thé.
Quelques motifs de satisfactions
Pour finir sur une note plus positive, voici quelques retours d’expérience positifs.
Au niveau de l’organisation
Parfaite, aucune attente au retrait des dossards, parcours parfaitement indiqué, ravitaillements copieux, bénévoles sympas, points de contrôle très réguliers… Rien à redire.
Au niveau de la préparation
Physiquement, je pense que j’étais au niveau. Je n’ai pas souffert de fatigue mais d’usure psychologique. Je regrette tout de même de ne pas avoir couru une grande course de préparation comme initialement prévu. J’aurais peut-être pu détecter le problème avec les chaussures et me forger un meilleur mental.
Au niveau du matériel
J’ai couru avec un porte dossard, ce qui est beaucoup plus pratique quand vous voulez changer de maillot, enfiler ou enlever un pull…
J’avais une réserve d’eau de 1,5 l sur le dos et une gourde filtrante Katadyn que je remplissais à chaque torrent et rangeait à l’arrière de mon sac. Pas de flasques sur l’avant, moins de poids et de l’eau fraîche en permanence.
Au niveau des pieds
Plus d’un mois avant la course, j’ai tanné quotidiennement mes pieds avec Akiléïne Tano et le jour de la course je les ai pommadés régulièrement avec Akiléïne NOK. Mon podologue avait aussi percé des trous dans mes semelles orthopédiques pour éviter de glisser dans les chaussures (sur le modèle des semelles Sidas recommandées par François D’Haene).
Résultat : aucune ampoule aux pieds alors que le parcours s’y prêtait bien.
Au niveau de mes prévisions
Je suis très fier de mon tableau Excel de prévisions des temps de course qui a parfaitement fonctionné jusqu’au Pleynet. Dans la prochaine version, j’y apporterai une composante « psychologique » 🙂
Et maintenant ?
A court terme, je suis inscrit à la Bouillonnante (qui devait avoir lieu fin Avril) le samedi 4 septembre. Je vais la courir en mode cool, en duo.
A moyen / long terme, je reste inscrit pour le Grand Trail de St-Jacques qui aura lieu en Juin 2022. Ce sont les chemins de mon enfance, je suis donc super motivé et sans aucune anxiété particulière. D’ici là je programmerai quelques courses de préparation.
J’espère encore courir des trails en montagne mais, au moins pour 2022, je vais me limiter à des courses de 24 heures (en gros 100 km). Psychologiquement je ne me sens pas prêt à rester 48 heures d’affilée sur les chemins. Je m’en suis rendu compte en courant l’Échappée Belle.
Enfin et surtout, j’espère concrétiser en 2022 le projet qui me tient à cœur. Les circonstances sanitaires en 2020 et 2021 me l’ont faire mettre en sommeil. Pendant ma préparation dans les Alpes, je me suis rendu compte à quel point c’était agréable de « trailer » uniquement pour le plaisir et pas forcément dans le cadre d’une course. Ce sera donc mon objectif de l’été 2022.
Très chouette compte-rendu, superbe paysage, cela donne envie (je suis encore trop court pour ce genre de distances, mais cela viendra…peut-être! ^^)
Merci ! Visiblement je suis trop court moi aussi 🙂 C’est une course techniquement très difficile. Un exemple parlant : François D’Haene l’a gagnée en 2019 à une moyenne de 6,25 km/h (record absolu) alors qu’il a remporté l’UTMB (20 km de plus et D+ équivalent) cette année à la vitesse de 8,29 km/h.